jeudi 29 octobre 2015

Petit guide du digital à l'usage des newbe

En discutant avec une très bonne amie hier, elle m'a demandé quels sont les livres à lire pour comprendre le langage du "digital". Ce petit article est une sorte de réponse pour décrypter cette tendance.

Du digital, retour à l'ontologie

Parler du digital c'est souvent ne pas savoir de quoi on parle. Ce "buzzword" est entré dans les termes du bingo des consultants (choisissez) en communication/conseil/stratégie/marketing leur servant à vendre une colonoscopie très profonde et très cher avec un retour discutable (sauf pour eux, et sans offense pour ces personnes qui gagnent leur pain).

Ceci étant dit, reprenons le littre qui désigne le digital comme :
  • 1 Adj. Terme d'anatomie. Qui appartient aux doigts. Nerfs digitaux, ceux qui se distribuent aux doigts.Appendices digitaux, appendices ou diverticules que présentent les intestins, et que l'on a ainsi appelés par analogie de forme avec les doigts d'un gant.
    Impressions digitales, dépressions superficielles que présente la face interne des os du crâne et qui correspondent aux circonvolutions cérébrales.
  • 2 S. m. Terme de botanique. Champignon appelé plus ordinairement clavaire.
Le digital est donc bien ce retour au doigt, ou plus exactement le retour à l'usage du doigt (voyez le point sur la colonoscopie). Je vois ce phénomène comme la prolongation d'un processus qu'évoquait Georges Epinette, le digital étant l'étape suivant le passage du maniable au manipulable.

Pour comprendre cette idée, rien ne vaut la voiture, même si le contexte de Georges était celui du SI, et qu'il a une portée assez générale socialement.
Quand vous achetiez une voiture jusqu'au début des années 2000, et que vous étiez bricoleur, vous pouviez à peu près tout faire dessus, de la vidange au niveau d'huile, en passant par changer les ampoules, le moteur, la courroie et toutes ces pièces dont je ne comprends pas la fonction. C'était l'ère de la voiture maniable, c'est à dire que vous pouviez travailler dessus, y mettre la main et avoir une action effective dessus. Le manipulable est l'avénement de la voiture "à console externalisée", celle où en ouvrant le capot, vous n'avez qu'un bloc opaque, ou la moindre pétouille vous impose de passer chez votre garagiste (je ne file pas la métaphore du proctologue, vous avez compris le principe). Avec le digital, vous arrivez à l'étape d'après : vous conduisez votre voiture avec un doigt (voire sans avec les expérimentations de voiture sans chauffeur), et concrètement, vous ne savez pas comment elle fonctionne.
Au final, l'ère du digital est celle du "seamless experience", l'expérience sans couture dont le rêve est le même que le caleçon de la même facture : pas d'empêchement ni de frottement, l'extase absolue.

Fin de la digression et revenons à nos moutons. Le digital c'est quoi ? Je dirais le retour à l'usage du doigt, c'est à dire à l'action de l'acteur qui agit sur lui et son environnement. Le doigt redevient le prolongement de la volonté dans une sorte de dépassement de la dichtomie cartésienne de l'immédiateté. J'ai envie d'un livre/déjeuner/rendez-vous, mon doigt appuie sur le bouton de mon téléphone/tablette permettant de rendre le service.
Et c'est sans doute la bonne transition, car le digital ne se comprend qu'avec l'émergence des technologies tactiles. Il ne peut y avoir de digital sans écran, et il n'y aurait probablement pas de digital si la firme à la pomme n'avait lancé son premier iPhone. L'idée sous-jacente est toujours la même : comment débarrasé la technologie de son aspect "infâme" qui est la couche technique physique, en l'espèce le clavier numérique, et transformer le manipulable en digital. Le mouvement est celui consistant à donner l'impression de la maîtrise en rendant un degré de liberté à l'usager qu'il considère comme primordial, ici le sentiment de dominer la technologie en la rendant simpliste, en échange d'un niveau de complexité jamais égalé et d'une mercantilisation de l'ensemble des actions de son doigt. Même Marx n'aurait pas osé rêver d'une idée pareil.

Résumons cette éthymologie ontologique du digital.
  1. Le digital n'existe qu'en concordance des technologies tactiles, pour faire court smartlets
  2. C'est sans doute l'étape suivant l'ère du manipulable, où chacun avait l'impression de payer des trucs plus chers pour un usage peu différent de la génération d'avant, mais sans possibilité de le modifier seul comme pour la génération d'avant (perte des moyens de l'agir sur l'objet)
  3. Le digital permet le retour au sensitif, à "l'expérience utilisateur" (ou UX pour les intimes), c'est à dire à l'acteur agissant sur l'objet
  4. Il n'y a pas d'objet au digital sans compréhension d'une dimension "modèle d'affaires", c'est à dire que le retour à l'action passe par la perte d'autres libertés rarement identifiées.
  5. Donc parler de digital, c'est parler d'un doigt, surtout celui qu'un beau parleur veut positionner dans votre fondement
Il y aurait sans doute toute une théorie et pratique de la sensitivité dans le digital et son impact sur le quotidien. L'investissement prodigieux des grandes firmes américaines et chinoises sur les matériaux, les courbes des objets en sont un des points visibles.

Quelques références

Pour commencer des lectures, garder bien en tête les deux derniers points de la liste du dessus. La littérature sur le digital est pléthorique (amazon renvoie plus de 25000 références de livres rien qu'en Français) et la majorité sert à ressasser des concepts très éloignés du terrain.
Pour faire dans la pratique, et entrer dans une démarche d'application, le plus simple est de ne pas lire des livres sur le digital, mais les livres qui expliquent les modèles d'affaires autour du digital. Voici donc cinq références, toutes en anglais, et presque toutes disponibles dans la langue de Molière :
  1. Parce que cela n'a rien à voir, et qu'en même temps pour réussir le digital il faut comprendre le "mindset", The Toyota Production System, Taiichi Ohno, qui est la base de tous les suivants et le seul n'existant à ma connaissance qu'en anglais,
  2. Pour comprendre comment faire pour concrétiser une idée, avec les exemples du monde digital, Business Model Generation, Alex Osterwalder et Yves Pigneur
  3. Le livre qui a lancé des carrières, des entreprises qui marchent (et beaucoup qui ne marchent pas), avec des exemples très clairs et une base scientifique très pauvre, The Lean Startup, Eric Ries
  4. Celui qui le complète le mieux est Running Lean de Ash Maurya, qui appuie sur les points d'ombre de The Lean Startup, avec toujours beaucoup d'exemples
  5. Enfin, parce qu'il faut comprendre la manière dont les dirigeants du monde le voit demain, The New Digital Age de Eric Schmidt et Jared Cohen. Je n'ai pas réussi à le finir, et en même temps, c'est sans doute le plus intéressant car l'un des seuls qui traitent de quasiment tous les sujets, de la politique à la médecine en passant par l'éducation, l'internet, et le reste.
Pour aller plus loin, vous pouvez toujours surfer sur des sites/blogs. Mais là, ça dépasse largement mon domaine =) Vous avez des éléments comme "La Revue du Digital" et j'en passe. Je m'abstiens de les lire car 1) ça n'est vraiment pas une passion 2) ce n'est pas mon boulot 3) quand par hasard je tombe sur un article, j'ai plus souvent envie de vomir ou de le déchirer ou d'agonir l'auteur d'insultes pour faire des raccourcis qu'autre chose.
Ne me faîtes pas dire ce que je ne dis pas, il y a des idées intéressantes. Si vous en trouvez, n'hésitez pas à partager.

Avec les cinq premières références, vous aurez sans doute les 9/10 des éléments de  langage et de culture permettant de discuter de digital, dans la perspective du doigt, et surtout vous pourez reposer le discours avec votre client/boss/voisin/cousin autour du vrai noeud du problème : le digital ça sert à quoi ? ça apporte quoi ? quelle valeur sociale/sociétale s'en dégage ? quelle destruction de valeur cela implique-t-il ?

 Bonne lecture.

mardi 13 octobre 2015

Lecture autour de l'Agile et du Lean-Kanban à l'usage des honnêtes gens (et des bleu bites)

Après plusieurs facilitations autour de l'agilité et du Lean Kanban, les personnes présentes me demandent régulièrement des "lectures" pour compléter la pratique. La communauté française / francophone finit par être importante, et quelques ressources sympathiques disponibles.

Pour commencer une saine culture agile / lean voici quelques premiers pas accessible en ligne pour gratuit :

Autour de l'Agile

 L'Agile, tout le monde en parle, mais qui connait vraiment ? En tout cas, moi pas.
 La plupart des liens proviennent de Les 8 ressources indispensables par Romain Couturier (il n'en reste que 7, mais on ne va pas chipoter, dont certaines sont de vrais livres à acheter)

Il y a là ce qui me paraît être le vernis minimum de discussion.

Autour du Lean

Le Lean est un concept assez ancien, et son usage dans l'IT se retrouve dans deux groupes majeurs dont les ambitions ne sont pas les même. Vous avez une tendance Lean-IT, tirée par Daniel T. Jones et P. Womack, une tendance Lean Kanban développée par David J. Anderson. A côté d'eux, vous retrouvez des personnalités comme Mary et Tom Poppendieck (Lean Software), du Kanban pur, les communautés historiques Lean, et j'en passe.
Conclusion : c'est un peu compliqué pour le commun des mortels, alors simplifions (un des principes du Lean, quelque soit sa provenance) :

Et pour aller plus loin

Aller plus loin est toujours possible. Le chemin de l'Agilité / du Lean est sans fin, et ressemble assez au poème de R. Frost "The Road not Taken". Si vous voulez poursuivre vos découvertes :
  1. Pratiquez. L'Agile et le Lean ne sont pas des approches théoriques mais de la praxis avec une dose d'amélioration continue et de méta (la prise de distance). Il existe beaucoup de théories sous-jacentes (socio-dynamique de groupe, théorie des flux, socio-psychologie de la motivation, et j'en passe). Concrètement, ce n'est pas la question. Au début, pratiquez, pratiquez et pratiquez.
    Dans la meilleure configuration, trouvez un coach (ou quelqu'un d'extérieur pour la prise de distance) et pratiquez encore pour vous améliorer, trouver des Meetups et pratiquez.
    Après une à deux années, d'introspection et d'adaptation, allez plus loin.
  2. Si vraiment vous êtes curieux (bravo !) je vous invite à regarder les ressources fraîchement traduites chez :
    • Les traducteurs agiles, groupe de bénévoles (dont je fais encore parti), popularisant les ressources des auteurs clés de l'agilité. Si vous êtes bilingue et que cela vous intéresse, n'hésitez pas à participer.
    • Le wiki d'Ayeba, émanation plus ou moins directe du premier, avec un nombre de ressources impressionnantes.
    • La partie Process et Méthodes d'InfoQ-Fr. C'est de la quasi publicité et je l'assume.
    • Twitter est l'une de mes sources principales d'informations, les membres de la communauté étant très actifs.
  3. Regardez les vidéos / captation des grandes conférences (attention, il y a des déchets, ce sera l'objet d'un prochain post) :
  4. Enfin, si vraiment vous voulez poursuivre, développer votre anglais. C'est triste (ou pas) mais la plupart des ressources et des tendances sont anglophones !