lundi 16 novembre 2015

Pardon

Après l'horreur de vendredi soir, je suis passé par un spectre de cinq émotions :
  • D'abord l'horreur devant tous ces morts, et la réminiscence des attentats de Charlie,
  • Une joie presque morbide d'être en vie,
  • Ensuite la tristesse et la compassion pour les victimes, leurs familles et leurs proches,
  • Puis une peur double, celle d'avoir perdu quelqu'un et celle de continuer à vivre,
  • Et enfin la colère contre la bêtise, contre la barbarie, contre tout.
Deux jours après, je reste profondément troublé, choqué, et sans doute de plus en plus en retrouvant le quotidien qui ne l'est plus. L'ambiance à Paris est différente, et pour être sorti samedi matin, il régnait dans les rues désertes une humeur malsaine et pesante.
Ceci risque de perdurer longtemps, et la facilité est celle que nos hommes politques ont déjà mis en avant : l'action immédiate, le renforcement de plans de luttes contre des menaces non maîtrisables car complexes, plutôt qu'une réflexion de fond mettant en lumière nos fautes. La CIA parvenait (parvient ?) peut être à traquer et suivre l'ensemble des échanges sociaux des américains au prix de la disparition de la vie privée. Est-ce bien le modèle que nous voulons voir mettre en oeuvre ? Ceci ne me rappelle que trop le pitch de "V pour vendetta", aussi bien en BD qu'en film, et l'organisation étatique de la peur.

Alors, je vous l'affirme : je refuse cette peur. Cela fait maintenant plus de trente ans qu'elle est organisée de manière pernicieuse par des hommes et femmes politiques en travaillant sur des principes sociologiques simples, et une vision simpliste du monde, celle du "nous contre eux" comme l'expliquait très bien Norbert Elias.

Alors, je vous l'affirme : je refuse la colère contre les personnes ayant commis les attentats. Ils sont bien responsables de leurs actes, ils ont causé la souffrance et la destruction, la peine et la douleur. La colère ne fera pas revenir les victimes, les morts et les blessés.
Je reste en colère contre nos gouvernants qui nous mentent et réagissent avec des démarches automatiques à des sujets émergents et complexes, en essayant de nous faire croire qu'annuler les rassemblements et annulant les manifestations culturelles limite le risque de nouvel attentat. Ce serait trop simple. Nous sommes loin d'Israël, de Bagdad ou Kaboul - et je n'ai pas d'opinions sur ces pays et leur politique - mais imaginez-vous que les populations arrêtent de vivre, qu'il n'y a plus de vie culturelle ? Elle a été réduite, et la vie doit continuer. Les mesures proposées sont étrangement simplistes, et les discussions entre les partis politiques français restent teintés d'un électoralisme immonde et impropre face à l'horreur que nous avons vécu.

La joie ne peut exister dans de telle circonstance, et la réminiscence assez peu. Il me reste la tristesse, et c'est ici que j'en viens.
Je suis finalement triste, et si je pleure et compatit avec les familles des victimes et leurs proches, je pleure aussi sur nous, pauvres citoyens qui venons de voir mourir pour la deuxième fois cette année notre sentiment de sécurité.
Je pleure sur notre société qui a laissé émerger des individus pouvant donner la mort.
Je pleure sur nos enfants qui vivront dans un monde bien différent du notre, un monde rappelant les heures sombres de la guerre d'Algérie, à la différence que nous ne nous battons pas contre un autre pays, mais contre nous même, contre nos enfants à qui nous n'avons pas donné les moyens de se projeter dans notre société.
Je pleure sur nos échecs, sur Notre échec, celui d'offrir si peu de rêves à certains des nôtres qu'ils en arrivent à penser que la mort et la destruction leur ouvriront des Paradis.

Parce que je suis triste, et que la colère et la guerre n'ouvriront pas les coeurs de tous ces hommes et femmes que nous avons laissé perdre dans notre société, à toutes ces personnes, je demande pardon.

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